Lors du GT du 08/11/2021, un point d’avancement du projet « Foncier innovant » a été présenté par la direction générale. Alors que le premier, et plus simple, des trois objectifs – repérer des piscines non déclarées grâce aux orthophotographies – reste encore en cours d’évaluation la DG projette déjà 300 suppressions d’équivalents temps plein (ETP)…
Le projet de « Foncier Innovant » (FI) avait été présenté pour la première fois aux organisations syndicales (OS) par la direction générale (DG) lors du groupe de travail (GT) du 16/11/2020 (lire ICI). Lors du GT du 08/11/2021, un point d’avancement du projet a été présenté par la DG. Alors que le premier, et plus simple, des trois objectifs – repérer des piscines non déclarées grâce aux orthophotographies – reste encore en cours d’évaluation la DG projette déjà 300 suppressions d’équivalents temps plein (ETP)…
Ce projet, qui doit permettre d’améliorer les bases foncières pour obtenir une meilleure taxation des biens imposables et assurer ainsi une meilleure équité fiscale, se décline en trois volets :
- Identification automatisée de bâtis imposables non déclarés à partir des orthophotographies
- Report sur le plan cadastral des contours des des bâtis détectés
- Détection de tous les biens dont l’évaluation n’est pas correcte en vue de la fiabilisation des valeurs locatives cadastrales (VLC).
Si les précisions apportées ont permis de lever quelques doutes quant à la place de l’expertise humaine dans le dispositif, les ambitions de la DG, toute entière occupée à supprimer des emplois plutôt qu’à renforcer le service public, demeurent inquiétantes pour le devenir des missions cadastrales et foncières.
L’alliance CFDT–CFTC fait le point sur un projet certes innovant mais qui pourrait tout aussi bien rater son objectif tant les obsessions budgétaires de la DG lui font parfois perdre de vue l’essentiel.
Un recours controversé à des prestataires externes mais la promesse d’une internalisation
L’identification automatisée de bâtis imposables a fait couler beaucoup d’encre car la DGFiP a eu recours aux sociétés Capgemini et Google pour lancer ce projet à 24,3 millions d’euros sur 4 ans. Capgemini, à la fois assistant à maîtrise d’ouvrage et maître d’œuvre (MOE), a assuré le développement de l’algorithme d’intelligence artificielle, tandis que Google a assuré le traitement des images, l’hébergement « cloud » ainsi que l’accompagnement du développement des modèles d’intelligence artificielle (IA).
La DG est restée muette sur la plupart des spécificités du marché public, se contentant de nous indiquer qu’il s’agissait d’un recours à des « unités d’œuvre » mobilisables dans le cadre d’un marché UGAP et qu’il n’y avait pas eu de marché spécifique.
La DG nous a par ailleurs assuré que ces deux sociétés n’avaient pas eu accès à des données fiscales et que le dispositif sera totalement internalisé à terme, y compris au niveau du cloud, au sein de la DTNum (maintenance de l’infrastructure et de la modélisation algorithmique nécessaire au traitement des images) et du bureau BSI2 (MOE de la plateforme de croisement des données fiscales et topographiques, ainsi que la maintenance évolutive des applications du foncier cadastral).
Une première expérimentation que la DG considère prometteuse
La première étape s’est concentrée d’abord sur l’identification des piscines non déclarées afin de valider le processus technique. L’expérimentation, débutée en octobre 2021 dans 9 départements (Alpes-Maritimes, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Morbihan, Maine-et-Loire, Rhône, Haute-Savoie, Var, Vendée) permettra la prise en compte des régularisations dès la taxe foncière 2022.
Dans un premier temps, l’opération consiste à identifier les contours des immeubles bâtis et des piscines à partir d’images aériennes (orthophotographies) publiques mises à disposition par l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière). Pour permettre l’apprentissage de l’algorithme d’intelligence artificielle (IA), une base a été constituée à partir des orthophotographies. Elle contient actuellement environ 90 000 bâtis et 10 000 piscines et doit continuer à s’enrichir. L’algorithme de détection identifie pour le moment 86 % des piscines figurant sur une zone témoin.
Dans un second temps, ces éléments sont rapprochés des données topographiques, urbanistiques (autorisation d’urbanisme dans LASCOT via SITADEL) et fiscales (MAJIC) dont dispose la DGFiP afin de déterminer si ces constructions présumées sont déjà taxées ou en cours de relance. Lorsqu’une anomalie est détectée, le service foncier la vérifie systématiquement, et lorsqu’elle est confirmée, le propriétaire du bien fait l’objet d’une relance pour dépôt déclaratif avant taxation. Dans le but de détecter un maximum de piscines non déclarées, les listes d’anomalies transmises ont été constituées de manière relativement extensive. Ainsi, 35 % des anomalies soumises à l’analyse des services fonciers se sont avérées sans objet. La DG considère ce taux de rejet conforme et nous a indiqué qu’elle avait tablé sur environ 1/3 de rejets. A l’issue de la première phase d’expérimentation, environ 2 % des piscines détectées ne figuraient pas dans les bases.
Engagements de la DG et poursuite de l’expérimentation
La DG a affirmée que le « Foncier Innovant » a vocation à devenir un outils de détection supplémentaire à la disposition des services fonciers. Il n’est pour le moment pas question d’automatiser la relance et la DG nous a assuré que les détections continueraient de faire l’objet d’une vérification humaine par les agents des services fonciers, ainsi que d’une relance préalable avant taxation. La DG nous a également assurée que les géomètres continueront à aller sur le terrain, en particulier pour traiter des cas litigieux ne pouvant être tranchés par l’oeil humain à partir des orthophotographies.
Le maintien de l’expertise humaine et des investigations de terrain comme piliers de la fiabilisation des bases est d’autant plus essentiel que la DG ne compte pas s’arrêter à la détection de piscines, tâche relativement aisée, mais veut étendre l’expérimentation à d’autres détections plus complexes. Tout d’abord, la DG va étendre la détection aux bâtis isolés non imposés, puis elle entend identifier les extensions non déclarées de bâtis identifiés dans les bases fiscales. Le repérage de bâtis isolés concernera les constructions de plus de 20 m² et un filtrage sera réalisé en fonction du parcellaire et des autres données fiscales disponibles afin de déterminer si l’objet repéré est un bâti potentiellement taxable. La DG a reconnu que dans les deux cas, et plus particulièrement le second, la détection d’anomalies constituera un préalable mais qu’au regard de la complexité de la taxation d’une construction, des investigations humaines complémentaires seront nécessaires. En tout état de cause, le propriétaire sera destinataire d’un courrier lui demandant des précisions sur la construction identifiée.
La qualité du plan cadastral mise en danger par le projet de report automatisé ?
La DG veut ensuite aller plus loin. Faute d’effectifs, le plan cadastral n’est pas parfaitement mis à jour. Plutôt que de tabler sur des recrutements et d’utiliser les éventuels gains de productivités opérés, la DG fait le pari du report automatisé sur le plan cadastral d’une partie des bâtis identifiés automatiquement par l’IA sur les orthophotographies. La DG se lance dans une « démonstration de faisabilité ». Les termes, comme le discours, laissent entendre que la faisabilité est admise.
Pourtant, plusieurs difficultés demeurent. D’abord les relevés qui seront réalisés à l’aide des orthophotographies seront des relevés « aériens » incompatibles avec les relevés du sol. La DG assure que les reports réalisés ainsi seront identifiés comme tels sur le plan cadastral mais n’exclut pas de les faire cohabiter avec les relevés du sol qui constitue la norme du plan cadastral.
En outre, il est impossible d’obtenir la même précision à partir des orthophotographies actuelles qu’avec des relevés traditionnels. La DG assure que c’est un des éléments de préoccupation et d’attention. Elle affirme que le projet n’a pas vocation à aller vers la production automatique de plan mais doit aider au report sur le plan. La DG compte également sur l’amélioration de la qualité des images au fil du temps alors que cela demeure assez peu probable à court terme. Mais au bout de l’échange la DG, tout en réaffirmant qu’elle assurera le respect de la qualité du plan cadastrale, a fini par admettre qu’elle n’exclut pas une révision, à la baisse, des exigences normatives…
L’alliance CFDT–CFTC a rappelé l’importance du plan cadastral et de sa précision et contesté par avance toute velléité de réduire sa qualité pour faire rentrer aux forceps une expérimentation ratée dans une phase d’industrialisation basse qualité.
En outre, cette évolution, parallèle au rapprochement avec l’IGN et au projet de Représentation Parcellaire Cadastrale Unique (RPCU) qui avance malgré certaines difficultés (La Loire-Atlantique est depuis le 01/10/2021, le 5e département à voir entrer en service un plan « RCPU ». L’Ain sera le prochain courant 2022), pose plus vivement encore le problème de la doctrine d’emploi des géomètres du cadastre. Leurs missions topographiques sont rognées. Le temps et les moyens dont ils disposent pour les accomplir réduits par une doctrine les cantonnant de plus en plus dans des missions fiscales. La DG s’est engagée a sonder les différentes directions pour faire le point sur la doctrine d’emploi de fait des géomètres et la préciser au niveau national.
Généralisation de l’expérimentation et développements futurs
Au cours de l’année, et en fonction de la disponibilité des orthophotographies, l’expérimentation sera généralisée à l’ensemble des départements… Bien sûr, la DG émet les réserves d’usage mais la teneur du discours ne laisse qu’assez peu de doutes quant à la généralisation du dispositif. La détection, par IA sur la base d’orthophotographies, des piscines et bâtis isolés non déclarés sera selon toute vraisemblance généralisée en 2022. Par ailleurs, à l’aide de l’applicatif SURF qui remplacera LASCOT et de CLIC’ESI, le processus de relance des propriétaires sera automatisé et dématérialisé à l’automne 2022 dans le cadre de GMBI (gérer mes biens immobiliers).
En outre la DG compte poursuivre le développement de l’outil pour permettre la détection de tous les biens dont l’évaluation n’est pas correcte en vue de la fiabilisation des valeurs locatives cadastrales (VLC). Si la détection d’extensions est déjà relativement difficile en dessous d’une certaine superficie, cette étape paraît encore plus hypothétique d’autant que la précision des données orthophotographiques et le principe même de données aériennes ne permettent pas de décrire précisément les bâtis. Mais là encore, il n’est pas exclu qu’une modification des règles de détermination de la valeur locative cadastrale ne soit engagée pour faire entrer aux forceps le cadre légal dans les limites technologiques d’évaluation.
De nouvelles charges pour des services déjà particulièrement en difficulté mais la DG envisage de supprimer 300 ETP !
Nous l’avions rappelé dans notre déclaration liminaire, les services fonciers ont perdu entre 2012 et 2020, 10,2 % de leurs effectifs en équivalents temps plein travaillés (ETPT) comme l’indique les rapports annuels de performances (10 155 ETPT en 2012 contre 9 122 ETPT en 2020). C’est dans ce contexte qu’il faut lire les difficultés de ces services à accomplir leurs missions de mises à jour de l’ensemble des données cadastrales et foncières, mais aussi de taxation et de contentieux. En outre, la mise en place du service GMBI (gérer mes biens immobiliers) entraîne déjà un surcroît de travail pour les services fonciers avec un grand nombre de messages « e-contact » à traiter engorgeant les services.
Si le projet de FI peut apporter, comme l’indique la DG, une aide à la détection de bâtis non taxés, l’affaire ne s’arrête pas à la détection. En effet, une anomalie détectée nécessite vérification de la validité de l’anomalie, relance du propriétaire, analyse des éléments de réponse du propriétaire, éventuellement des investigations complémentaires y compris sur le terrain, la taxation et, le cas échéant un contentieux si le propriétaire conteste la taxation. En réalité, les détections supplémentaires engendrent également des tâches complémentaires.
Si l’alliance CFDT–CFTC ne conteste pas l’intérêt d’avoir recours aux outils les plus modernes pour lutter contre la fraude, améliorer le civisme fiscal, assurer l’équité fiscale et le rendement budgétaire, par contre, alors que les services fonciers, comme la plupart des autres services de la DGFiP, sont déjà mis par les suppressions d’emplois successives, hors de capacité d’exercer l’ensemble de leurs missions nous contestons fermement toute suppression d’emplois. Il serait absurde de supprimer 300 ETP alors que la mission est en souffrance sur de très nombreux points, que la charge de travail ne diminuera au mieux que marginalement et qu’on prétend « en même temps » la renforcer.