Groupe de travail SJCF – Horizon sur les outils informatiques

Entre le Projet PILAT, qui va profondément structurer la mission du Contrôle fiscal dans les années à venir… et qui se fait attendre, le projet CFVR, dont nul ne voudrait qu’il se noie dans le Lac de données, et la lointaine transformation numérique du métier juridique de la DGFiP, le GT SJCF du 7 juin faisait le point… en mode information descendante. Notre liminaire vous éclaire.

Déclaration liminaire GT SJCF 7 juin 2022

A l’heure d’aborder le sujet structurant des applicatifs dans la sphère du contrôle fiscal et de la sécurité juridique, deux impasses sont toujours face à nous.

La 1re impasse est la croyance d’une partie de la haute hiérarchie et de ceux qui nous gouvernent à s’imaginer toujours prendre les bonnes mesures et à se convaincre de la supériorité de leurs décisions. A la DGFiP, ces 5 dernières années, rares auront ainsi été les moments d’humilité amenant à entendre les remontées du terrain ou à questionner le savoir-faire des personnels et de leurs représentants. Invariablement, notre administration a donc supporté 5 ans d’attrition des moyens – comme on le dit pudiquement dans la novlangue – sous couvert de réformes tendant in fine à toujours plus éloigner le contribuable de nos services.

Le contrôle fiscal, lui, a reculé dans la plupart des domaines malgré les tripatouillages d’indicateurs opérés, servant une communication toujours satisfaite qui vaudra bientôt celle de la Pravda. 5 ans pendant lesquels les institutions ont été inutilement bousculées et durant lesquels les corps intermédiaires et les organisations syndicales (OS) ont été inlassablement contournées… malgré les exigences démocratiques.

Et ce, bien que les OS à la DGFiP aient une légitimité incontestable conférée par un suffrage et un taux de participation aux élections professionnelles plus que flatteur… que beaucoup aimerait aujourd’hui avoir. Un détail sans doute alors que notre directeur général qui vient de lancer dans une grande aventure modestement intitulé le « grand remue-méninge ». Mais soyons réalistes. Ce « grand chantier » n’a d’autre vocation qu’à faire croire… sur une petite durée. Faire croire notamment qu’en à peine un mois on va « faire remonter les meilleures idées et les principales préoccupations » des agents et des encadrants de la DGFiP alors qu’on les a tenus à l’écart des réformes pendant 4 ans. Faire croire qu’on peut évacuer en quelques semaines ce qui nécessiterait plusieurs mois d’un travail sérieux d’analyses en vue d’établir le prochain contrat d’objectif et de moyens (COM). L’artifice communicationnel est assurément grossier, surtout paré de vertus participatives

Aussi, revenons dans le monde réel. Si le dialogue social et la participation fonctionnaient, si le DG s’intéressait aux remontées des agents et des représentants du personnel, alors :

  • Bercy aurait mis les moyens et le personnel adéquat pour que conséquence financière (CFIR) fonctionne ;
  • Bercy ferait en sorte que les remboursements de frais cessent d’être un irritant majeur ;
  • Bercy s’intéresserait à ses agents nomades et défendrait leur situation auprès de la DGAFP vers laquelle botte en touche l’administration sur trop de sujets, nomades dont le sort s’est nettement détérioré ces derniers mois ;
  • Bercy aurait gagné des mois, et l’Etat n’auraient pas perdu des centaines de millions d’euros avec le FDS, en coupant les robinets à fraudes que les agents et leurs OS avaient perçu dès l’origine ;
  • Bercy n’aurait pas nié que la déclaration automatique pour les primo déclarants était un nid à fraudes… assénant péremptoirement comme trop souvent que cela était marginal ;
  • Bercy aurait développé les IS (inspecteurs spécialisés), valorisé les ACListes, l’expertise, les parcours professionnels, les compétences et les acquis de l’expérience ;

Ces quelques exemples démontrent la vacuité de l’opération de communication en cours… et de ses ressorts managériaux repris de quelque cabinet de conseils.

Et quand ceux qui ont le pouvoir ont la main sur un sujet, ils passent leur tour et deviennent de puissant ministre de la Parole. Sur le plan du pouvoir d’achat, Bruno Le Maire a enjoint la semaine dernière les entreprises qui le pouvaient à augmenter les salaires. Comme ministre-employeur, que n’agit-il à l’adresse de ses propres fonctionnaires.

Notre époque n’a pas besoin de « grand remue-méninges » ni d’agitation faussement de proximité, juste besoin de moins de blablas et d’arrogance et de distance.

La 2e impasse prend elle aussi la forme d’une croyance. Celle du fantasme du solutionnisme informatique, du technologisme « presse bouton », utilisés pour poursuivre les suppressions de fonctionnaires.

Evidemment, nous savons tous ici qu’il est à ce jour fallacieux de parler d’intelligence artificielle à la DGFiP. Fort de notre expérience collective, la DGI puis la DGFiP ont toujours réalisé du requêtage et du croisement de données, renforcé par la MRV puis le projet CFVR (Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes). L’alliance CFDT-CFTC Finances publiques a toujours défendu un numérique au service du métier et au bénéfice des agents.

A cet égard, nous soutenons l’intérêt du projet CFVR, mais nullement la stratégie mise en œuvre qui fait de la Centrale le cerveau d’un système auquel tout remonte et d’où tout ressort. Alors que la DG professe la responsabilité des directions locales, ce projet reste trop éloigné des territoires. La production des listes DM continue à engendrer des insatisfactions et l’éloignement du terrain en est une des causes. Sociologie et tropismes locaux, écosystèmes géographiques, connaissance du terrain, des décideurs et des us et coutumes échappent largement à un système centralisé. N’est-il pas absolument nécessaire que la stratégie CFVR ait plusieurs étages[1] pour mieux impliquer les acteurs du contrôle fiscal et ceux de la gestion ? La richesse des informations du terrain apportera de l’intelligence réelle et affinera les rendus.

Il est de fait nécessaire de conserver un fin maillage territorial, à rebours d’une DGFiP de plus en plus plate-formisée et centre-de-contactisée. Comme pour la sécurité publique et le renseignement, il faut de la police de proximité et du renseignement territorial. On sait ce que coûte de se couper du terrain dans ces domaines. A vous d’en tirer enfin les conséquences. A la DGFiP, il est indispensable de rester enracinés dans le tissu fiscal, aux côtés des usagers et des partenaires. Relevons cependant que moins l’Etat est présent, plus son intervention épisodique est mal vécue …et on assiste d’ailleurs à une augmentation des situations tendues. Une alerte pour ceux qui s’interrogent sur la remise en cause de l’autorité de l’Etat et sur la multiplication des atteintes diverses que subissent les fonctionnaires.

A ce jour, deux autres systèmes de programmation coexistent. La DNEF qui a son propre système d’analyse et qui nécessite d’être renforcé, et la DVNI où la programmation experte n’entre pas en concurrence avec l’analyse risque. L’alliance CFDT-CFTC Finances publiques aimerait savoir quels enseignements pratiques vous tirez de ces systèmes parallèles. Par ailleurs, s’il fallait le démontrer, le fait que ces deux directions soient en dehors du dispositif de SJCF-1D montre bien qu’il y a un contrôle fiscal à deux vitesses et que l’analyse risque et l’intelligence artificielle ne sont pas à ce jour le choix le plus pertinent.

L’alliance CFDT-CFTC Finances publiques met de nouveau Bercy en garde contre son fâcheux tropisme à n’utiliser les progrès réalisés en informatique que comme prétexte aux suppressions d’emplois, et l’invite à ne pas négliger – comme c’est trop souvent le cas – le développement de l’expertise humaine dont le déclin n’est pas une fatalité.

L’alliance CFDT-CFTC Finances publiques demande en outre que vous nous démontriez que l’apprentissage automatique évoqué n’est pas que du marketing. Depuis 2019, vous nous avez promis de rencontrer les équipes de la MRV, aujourd’hui SJCF-1D, et d’avoir des échanges sur ce sujet. Nous attendons encore et restons toujours ouverts et en attente de transparence. Notre délégation souhaiterait savoir comment le suivi qualitatif et quantitatif des listes DM est réalisé. Depuis 4 ans, vous affirmez que ça s’améliore, mais sans l’objectiver. Surtout, cette impression n’est que très partiellement corroborée par nos remontées, notamment en local ou à la DNVSF.

S’agissant du budget alloué à ce projet (soit 5,2 millions sur 5 ans ; 2018-2022), y a-t-il matière à s’en féliciter alors que le budget informatique de la DGFiP avait perdu plus de 28 % entre 2010 et 2017 (contre 5% en global pour le reste de la DGFiP). Surtout, il nous semble bien inutile d’avoir lié ce budget à un objectif de programmation de 50 %. Ce budget – insistons sur ce point ! – aurait été obtenu considérant les orientations prises par la DGFiP avec la MRV et le retard pris dans la modernisation des outils numériques du CF (la récurrente « dette technologique »).

Mais venons en à l’indicateur CF-51 qui est un concept en soi. Cet agrégat est-il réellement pertinent ? Des fiches validées ne trouvant jamais preneur n’entrent elles pas dans ce chiffrage ? In fine, il ne nous semble pas impossible qu’un taux de 20 % soit plus réaliste. Qu’en est-il sérieusement ?

Quoi qu’il en soit, la délégation CFDT-CFTC Finances publiques insiste et martèle à nouveau ici la nécessité que le contrôle fiscal soit pour partie aléatoire (ne serait-ce que pour disposer d’une base objective de comparaison). De même que nous redemandons à ce que soient expérimentées des brigades déroulant des programmes sans être régentées par des objectifs. Ce qui démontrerait certainement qu’on peut également partager la confiance avec les personnels et pas seulement les contribuables.

A propos de contrôle aléatoire, souhaité, comme nous, par la Cour des comptes et l’INSEE pour chiffrer la fraude fiscale, nous profitons de ce GT pour vous demander où en est cette promesse du ministre Darmanin. Serait-ce finalement un autre mensonge ?

Redisons enfin que les évolutions technologiques ont toujours eu et ont toujours leur place à la DGFiP et nous militons totalement pour qu’elles servent aux agents dans l’accomplissement de leurs tâches et non à les asservir, ni à les reléguer, ni à les remplacer.

Juridiquement, considérant que l’informatique est totalement structurante dans nos métiers, qu’elle conditionne beaucoup plus qu’avant le travail et la façon de travailler, nous vous renvoyons au Préambule de 1946 qui est dans le bloc de constitutionnalité et pose comme nécessaires à notre temps, certains principes politiques, économiques et sociaux. A cet égard, nous demandons dorénavant le respect strict de la règle disposant que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail (…) ». De facto, nous ne pouvons être écartés des projets informatiques en cours, comme vous le pratiquez. Nous exigeons donc que des points réguliers, avec des mises en situation réelle, soient inscrits régulièrement à l’agenda social.

Enfin, avant de rentrer dans le vif des différentes fiches au cours de ce GT, nous aurons quelques mots en liminaire sur le projet PILAT qui, malgré le soleil de Galaxie qui poudroie, nous interpelle en mode « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? ». La délégation CFDT-CFTC Finances publiques soutient naturellement l’économie générale de ce projet. Un projet ambitieux dont l’essentiel reste à venir mais, mais qui voit les retards s’accumuler (comme avec ALTO 3 dorénavant attendu en novembre). Surtout, la « brique » PILOT CF qui est la racine de PILAT, bloque l’avancée globale du projet. Un projet que vous nous aviez pourtant présenté en 2018 comme étant « agile » et comme pouvant être incrémenté petit module par petit module…

Or, dans un contexte de moyens humains insuffisants et d’évolutions constantes, le projet PILAT est depuis débordé par l’ajout de données, de nouvelles taxes à entrer, de nouveaux dispositifs, etc. « Tout ce qui est DGFIP a une résonnance sur PILAT » disent certains spécialistes. Effectivement. Et l’on constate que le départ d’un ou de quelques agents peut fragiliser la construction de certaines « briques ».

Toujours est-il, qu’une des conséquences plus que fâcheuse que ce projet a corrélativement induit est la poursuite de l’obsolescence d’autres applications de la DGFiP et la multiplication des ruptures applicatives.

L’ambition pour PILAT n’est-elle finalement pas quelque peu démesurée au regard de ce que la DG et le ministère ont été capables d’apporter comme budget et de conserver comme moyens humains ? Il nous semble que la responsabilité du DG est engagée dans ce marasme technologique. Ce qui est certain, c’est qu’on a moins besoin de ces communications à l’emporte-pièce et de ces contractualisations d’affichage que de vrais faiseux. Considérant cette situation, la transformation numérique du métier juridique de la DGFiP, prévue à un horizon de plusieurs quinquennats, est peut-être un tantinet présomptueuse, car d’ici là…

[1] La DNVSF devrait bénéficier d’une attention particulière à ce sujet.