Groupe de travail « Responsabilité des gestionnaires publics » : Beaucoup d’attentes, peu de réponses

Le groupe de travail relatif au nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics était très attendu. Les inquiétudes sont nombreuses et les attentes des agents particulièrement vives. Si les échanges ont été cordiaux, la direction générale n’a apporté que peu de réponses aux questions des organisations syndicales et a confirmé son peu d’entrain à associer les représentants des personnels à la mise en œuvre de la réforme en cours. 

Le 3 novembre après-midi, la direction générale (DG) conviait les organisations syndicales représentatives à un groupe de travail sur le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics (RFGP).

Cette réforme est particulièrement importante car elle marque la fin du régime actuel de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics, reprend les fondamentaux de la procédure actuelle devant la Cour de discipline budgétaire et financière de l’Etat et change de paradigme en basculant de la responsabilité-réparation à la responsabilité-sanction.

Cette petite révolution, opérée par l’ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022, entrera en application au 1er janvier 2023 et la délégation CFDTCFTC attendait donc de cette réunion des réponses précises aux questions que, légitimement, tous les agents se posent et que nous avions en partie exprimées dans nos propos liminaires (cf. déclaration liminaire).

L’unique document de travail était maigre et ne faisait que reprendre des informations disponibles de façon plus complète sur Ulysse, ce qui n’augurait pas une discussion approfondie sur la question. Les organisations syndicales ont toutes dénoncé ce manque de respect vis-à-vis des représentants du personnel.

La réunion n’a guère apporté plus de réponses, la partie administrative répondant à nos questions de façon vague la plupart du temps, et en usant fréquemment du conditionnel. Elle s’est bornée à marteler que les textes, décrets et arrêtés nécessaires, seraient pris avant l’entrée en vigueur de la nouvelle RFGP au 1er janvier 2023, et que l’entrée en pleine application de la réforme n’intervenant que progressivement au cours de l’année 2023, et même au-delà, les évolutions organisationnelles des différentes missions et services concernés interviendraient tout aussi progressivement, des orientations devant néanmoins être fixées fin 2022 ou début 2023…

Pour autant, la direction générale (DG) s’est bien gardée de nous apporter des précisions sur le contenu des décrets en cours de validation et encore moins concernant les orientations organisationnelles qu’elle envisage.

A ce titre, l’alliance CFDTCFTC a rappelé que les organsiations syndicales ont vocation à participer « à l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles statutaires, à la définition des orientations en matière de politique de ressources humaines et à l’examen de décisions individuelles dont la liste est établie par décret en Conseil d’Etat » comme l’a rappelé la loi de transformation de la Fonction publique en son article 1, tirant ici les conséquences de principes constitutionnels

L’alliance CFDTCFTC a également rappelé qu’elle conteste la pratique instituée depuis plusieurs années par l’administration qui consiste à confondre les organismes consultatifs avec de simples structures d’information des représentants des personnels, et revendique d’avoir à connaître des projets d’évolution en cours à la DGFiP au stade où ils sont encore discutables et amendables.

En outre l’alliance CFDTCFTC, constatant que la DG espère des simplifications et gains de productivité de cette réforme, a demandé à ce que tout gain de productivité conduisant à « libérer » des ETP (équivalent temps plein) soit utilisé pour renforcer les missions actuellement en souffrance et qu’en aucun cas il ne serve de prétexte à de nouvelles suppressions d’emplois.

Si, malheureusement, nous n’avons pas pu glaner beaucoup d’information durant ce groupe de travail,vous trouverez néanmoins ci-dessous quelques éléments de réponse aux questions qui nous sont le plus souvent posées.

Tous les agents de la DGFiP seront potentiellement justiciables mais dans la limite de leurs responsabilités effectives… le flou demeure et il faudra attendre le juge pour avoir des éclaircissements

La DG a rappelé que le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ne vise pas une catégorie spécifique d’agents publics mais sanctionnera des infractions commises par toute personne justiciable au sens de l’article L.131-1 du Code des juridictions financières (CJF) dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2023.

En particulier tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales sera justiciable à raison des infractions qu’il aura commises.

La DG a néanmoins rappelé que cela n’est pas totalement une novation. En effet, si la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) ne visait que les Comptables publics d’État, par contre tout fonctionnaire était justiciable devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) en application des dispositions de l’article L.312-1 du CJF en vigueur jusqu’au 31/12/2022.

Par ailleurs la DG a rappelé que l’ordonnance n°2022-408 qui institue le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics (RFGP), modifie l’article L.131-5 du CJF pour préciser que, sauf en cas d’instruction donnée manifestement illégale, l’agent public « qui agit conformément aux instructions préalables de son supérieur hiérarchique et d’une personne habilitée n’est passible d’aucune sanction » et que dans ce cas « la responsabilité du supérieur hiérarchique ou de la personne habilitée se substitue, […], à la sienne ». La DG a en outre précisé que la notion d’instruction recouvrait les ordres écrits et oraux.

En outre, concernant plus particulièrement la responsabilité du Comptable public d’État, l’article L.131-6 du CJF dans sa rédaction à compter du 1er janvier 2023, dispose que les justiciables ne sont passibles d’aucune sanction s’ils peuvent exciper un ordre écrit préalable de l’autorité compétentes ou d’une délibération de l’organe délibérant, à condition que ces derniers aient été dûment informés.

La DG considère également que la notion d’infraction telle qu’encadrée par l’ordonnance n°2022-408 est plus restrictive que celle qui prévalait devant la CDBF, en particulier parce que seule une « faute grave ayant causé un préjudice financier significatif » sera sanctionnée. La DG a néanmoins reconnu qu’elle ne pouvait apporter de définition ni précise ni chiffrée à ces notions, et qu’il appartiendrait au juge d’en établir les contours.

La DG nous a également indiqué que la Cour des comptes prévoit de pouvoir engager environ 50 à 60 procédures d’infraction par an, étant entendu que ces procédures ne viseront pas uniquement des agents de la DGFiP.

L’alliance CFDTCFTC a regretté qu’aucun cadrage plus précis n’ait été effectué et a insisté sur la très forte inquiétude des agents face à ce qui est ressenti comme une nouvelle responsabilité. Un cadre plus strict aurait pu permettre, en particulier avec des délégations de signatures bordant les responsabilités de chacun, de limiter le champ effectif des justiciables.

Mise en cause de la responsabilité financières des agents de la DGFiP : le préjudice subi par l’organisme sera à la charge de l’État

La DG a insisté sur la nature du nouveau régime de responsabilité qui est un régime de sanction d’une infraction commise et non de responsabilité comptable incombant à une catégorie particulière d’agents répondant sur leurs deniers. La mise en cause de la responsabilité financière des gestionnaires publiques a une portée répressive, tandis que l’ancienne responsabilité personnelle et pécuniaire des Comptables publics était fondée sur une logique de réparation.

La DG nous a ainsi confirmé qu’en cas de mise en cause de la responsabilité financière d’un agent de la DGFiP, le préjudice financier subi par l’organisme public sera pris en charge par l’État, sauf quand l’organisme public est in fine jugé partiellement ou totalement responsable, auquel cas il lui incombera tout ou partie de la charge du déficit constaté.

La DG nous a indiqué que cela valait aussi bien pour les Comptables publics d’État mis en cause que pour leurs agents ou pour tout autre agent de la DGFiP dont la responsabilité serait mise en cause.

La responsabilité « managériale » : un concept et puis rien ?

Concernant la responsabilité managériale, la DG qui avait elle-même introduite cette notion sans en dessiner les contours et en indiquant qu’elle ferait l’objet de discussions ultérieures, a indiqué, suite aux propos liminaires des représentants des personnels, qu’il y avait une « incompréhension »… Pourquoi pas.

En réalité, d’après la DG, ce nouveau concept ne recouvre rien de nouveau. Il n’y aura pas de dispositif administratif spécifique traitant de la responsabilité « managériale ».

Les erreurs et fautes commises, non passibles d’une procédure de mise en cause de la RFGP devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes, seront traitées comme des événements normaux de la vie professionnelle. Il n’y aura pas de sanction spécifique ni de procédure spécifique. Les problèmes rencontrés seront traités dans le cadre de l’évaluation professionnelle ou, le cas échéant, selon les procédures habituelles de sanctions.

L’alliance CFDTCFTC a néanmoins fait remarquer qu’aucune limite claire n’est tracée entre ce qui relève du « managérial », du disciplinaire, de la RFGP ou encore du pénal. En particulier la limite entre le « managérial » et la mise en cause de la RFGP est un clair obscur dans lequel toutes les pressions « managériales » sont possibles.

En outre, la DG n’a pas été en capacité de répondre à notre demande d’information quant aux modalités de recours, autre que le tribunal administratif, contre les conséquences – puisqu’il n’y a pas de régime de sanction – « managériales » d’une faute ou erreur prise en compte par l’autorité hiérarchique dans des décisions de promotion ou de mobilité de l’agent par exemple. Elle s’est bornée à indiquer que les contestations seraient traitées dans le cadre du régime actuel des recours possibles lorsqu’une décision individuelle de gestion est défavorable. L’alliance CFDTCFTC considère que ces modalités pourraient s’avérer trop limitées au regard de l’importance que pourra prendre la prise en compte de la responsabilité « managériale » d’un agent dans le cours de sa carrière.

Évolution métier, contrôle interne et maîtrise des risques…nous n’en saurons pas plus

La DG n’a pu, ou voulu, nous apporter aucun élément sur ces thématiques. Elle s’est bornée à nous indiquer que des travaux de réflexion sont engagés sur ces thématiques et que des orientations seront prochainement à l’arbitrage du directeur général pour décision d’ici la fin de l’année 2022 ou le début 2023.

L’alliance CFDTCFTC regrette qu’aucun groupe de travail avec les représentants des personnels n’ait été prévu en amont de la prise de décision concernant des évolutions fondamentales pour l’organisation de l’exercice des missions et l’organisation des services mais aussi pour l’avenir de certaines structures, par exemple les cellules dédiées au recouvrement des directions déconcentrées, ainsi que pour les conditions de travail des agents.

Ce qui semble certain c’est que la DG veut profiter de cette réforme pour simplifier certaines procédures et réduire les tâches de certains services (Simplification des procédures d’admission en non valeur, suppression de l’examen des états des restes/R104, allègement du CHD, allègement du suivi des RJ/LJ, etc.).

L’alliance CFDTCFTC a insisté sur la nécessité d’utiliser ces réductions de charge de travail dans certains domaines pour réinvestir des missions parfois en souffrance ou insuffisamment dotées comme, par exemple, au regard des sujets abordés, le recouvrement contentieux des créances publiques.

L’avenir des pôles nationaux d’apurement administratif

Consécutivement à la réforme de la responsabilité des gestionnaires publiques qui prévoit également que les comptes ne seront plus remis à la Cour des comptes mais simplement produits et à disposition de la Cour, les PNAA vont voir leur mission d’apurement administratif des comptes des différents organismes publics s’éteindre progressivement. La mission ne va néanmoins pas disparaître au 1er janvier 2023 et la charge se réduira progressivement.

Parallèlement la DG poursuit la réflexion qu’elle avait déjà évoquée en février 2022 quant à une évolution des missions de ces services. Ces services continueront à vérifier la production effective des comptes et pourraient se voir confier un rôle dans le contrôle de la qualité des comptes. Sur ce point, la DG est demeurée là encore évasive, nous renvoyant à des décisions qui seront prises ultérieurement et sont en cours de mûrissement… loin de nos instances, on ne peut que le regretter quand il s’agit du devenir de services et d’agents de la DGFiP.

Protection fonctionnelle et frais d’avocat

La DG a indiqué que pour toute mise en cause liée à un acte non détachable du service, l’agent de la DGFiP bénéficiera de la protection fonctionnelle et de l’accompagnement de la DGFiP. A priori l’actuelle cellule RPP pourrait accompagner les agents de la DGFiP mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.

Concernant les frais éventuels d’avocat, en particulier en cas de procédure devant la Cour d’appel financière (CAF), la DG ne nous a apporté aucune information, ni sur les contraintes de la procédure ni sur son coût éventuel ni sur une quelconque éventuelle prise en charge.

Rémunération des comptables et des agents particulièrement exposés

La réforme des modalités de prise en compte de la responsabilité des agents de la DGFiP au regard des recettes et dépenses dont ils ont la charge, et la fin de la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics d’État fait planer légitimement un doute sur l’évolution des modalités de rémunération desdits comptables publics.

Néanmoins, la DG a affirmé qu’aucune évolution liée à la réforme de la responsabilité financière des gestionnaires publics n’est à l’étude à la DGFiP. En effet, les modalités de rémunération des comptables publics de la DGFiP ne sont pas liées à leur actuelle RPP, le régime indemnitaire actuel n’étant pas la contrepartie d’une responsabilité des comptables sur leurs propres deniers.

Plateforme de signalement à la Cour des comptes

La DG nous a précisé que ce dispositif n’avait en soi rien de novateur. En réalité il a toujours été possible de signaler à la Cour des comptes un comportement ou une situation pouvant relever d’une infraction dont la Cour des comptes aurait à connaître. La DG considère que les nouvelles modalités techniques ne font pas réellement évoluer la situation.

L’alliance CFDTCFTC considère néanmoins que ce mode de délation par internet, s’appliquant tout aussi bien aux situations rencontrées à la DGFiP, est de nature à accroître la pression sur les agents de la DGFiP qui pourront être mis en cause à tort par des tiers qui auparavant n’aurait pas usé de ce mode de délation. L’alliance CFDTCFTC espère que ces situations demeureront marginales et souhaite que dans les cas où la Cour des comptes entendra poursuivre ses investigations sur la base de ce type de signalement, la nature et l’origine du signalement soient systématiquement portés à la connaissance des agents dont la responsabilité financière sera mise en jeu.